LAFRANÇAISE et son atelier de production sur LeParisien
Comme la bonneterie de Villers-Bocage (Calvados), les pépites du made in France cultivent leur savoir-faire et innovent. Nous sommes allés à la rencontre de quelques-unes de ces entreprises qui redonnent des couleurs à l'industrie.
Des tricots réparables et garantis "à vie"
Sauvée de la liquidation en 2010, la bonneterie normande de Villers-Bocage (Calvados) innove. Sa nouvelle marque vendue en ligne, LAFRANÇAISE, cible une clientèle plus jeune.
Misez sur des coupes structurées
Un pôle santé tout neuf domine l'ancienne place du marché aux bestiaux, l'un des plus importants au XIXe siècle. À Villers-Bocage (Calvados), bourgade de 3 100 habitants située à une demi-heure de Caen, l'abattoir Elivia et l'entreprise de charcuterie Brocellande restent les premiers employeurs locaux. La bonneterie, qui a compté jusqu'à 400 employés dans les années 1950, a failli disparaître en 2010. Mais elle a été sauvée de la liquidation et rachetée par une entreprise vendéenne, Bernard-Solfin.
Aujourd'hui, une trentaine de personnes y travaillent. Cet atelier normand entre dans une nouvelle ère grâce à la création en 2019 de la marque LAFRANÇAISE, tout en continuant à tricoter les modèles classiques du catalogue de Maison Solfin pour ses clientes fidèles. Derrière la façade bleue portant encore l'enseigne Edwige Edward's - ancienne marque des pulls tricotés ici il y a soixante ans - c'est un petit morceau du patrimoine industriel local que Léa, du haut de ses 18 ans, s'applique à dérouler entre les dents de sa machine. La remailleuse débutante joint, fil à fil, le col et la pièce principale d'un pull de laine. Il n'existe plus de formation initiale dans le système scolaire pour ce savoir-faire, qui s'apprend désormais, en deux ou trois ans, au contact des professionnelles expérimentées. "Nous formons les personnes que nous embauchons", explique Isabelle Châtel, directrice du site depuis 2013, après le rachat par Bernard Solfin de la bonneterie de la famille Philips. Celle-ci avait démarré son activité a Villers-Bocage un siècle plus tôt, en 1923, par la fabrication de chaussettes et collants.
"Je recrute localement"
"Nous avons des contraintes de recrutement dans nos usines, il ne suffit pas d'avoir de l'argent, explique le PDG, Ludovic Samson. Notre bassin d'emploi est de ce fait limité à un rayon de 25 à 30 km. Et nous devons former nos salariés. Autre difficulté, le temps : il faut trois années pour devenir remailleuse. Or, quand vous embauchez une personne de 25 ans, à 28 ans, elle veut faire autre chose, et pas rester remailleuse pendant 40 ans".
"Je recrute localement pour limiter les frais de carburant des salariés, confirme, sur site, la directrice qui a peiné à remplacer les départs en retraite. Je privilégie les personnes qui savent déjà tricoter et ont une expérience en production. Ce qui attire les femmes chez nous, ce sont les horaires (8h -15h45), qui permettent d'aller chercher les enfants à l'école".
Alison est arrivée dans l'atelier en 2013, à l'âge de 18 ans, avec un bac professionnel en métier de la mode. "J'ai été embauchée comme opératrice en confection, raconte la jeune femme, qui apprécie de travailler à côté de son domicile. Je suis restée neuf ans au remaillage avant de passer cheffe d'équipe. On tourne sur une dizaine de postes différents, donc je n'ai pas vu le temps passer". Alison vient de gravir un échelon supplémentaire cette année en devenant responsable d'atelier. "On fait de la formation tout le temps", souligne-t-elle. Et l'encadrement des nouvelles arrivantes est une source de motivation supplémentaire.
Derrière son écran d'ordinateur, Jérôme est l'un des rares hommes de l'atelier. Embauché chez Bernard Solfin, comme son père avant lui, puis chez BS Production, il a pour mission de programmer les métiers à tricoter industriels. "Je travaille avec la styliste et la modéliste. On commence par des essais de maille sur les machines et on sort un prototype. S'il est validé, on passe à la gradation, c'est-à-dire à la production de différentes tailles", explique le programmeur, qui a aussi beaucoup appris avec un ancien, parti en retraite.
À l'autre bout de la chaîne. Karine est chargée du "raccoutrage". Elle rattrape à la main, quand c'est possible, les panneaux (pièces de tricot) qui ont des défauts réparables et n'ont pas passé avec succès l'étape du contrôle final. Entre ses mains expertes, arrivent aussi les vêtements des clientes de Maison Solfin. Cette dernière garantit en effet des articles réparables "à vie", selon la nature de l'usure. "On peut reprendre un accroc ou une couture, mais pas des trous de mites ou un col usé", précise cependant Isabelle Châtel. D'après la photo envoyée par la cliente, un devis de réparation (entre 7 et 25 € ) lui est adressé. L'usine reçoit chaque année une dizaine d'articles à remettre en état.
Vente directe
"Nous vendons directement depuis nos usines à nos consommateurs, sans intermédiaire. Cela permet de leur proposer du fait en France à prix abordable, confie Ludovic Samson, rappelant que seuls 3% des vêtements vendus dans l'hexagone y sont fabriqués. Mais aujourd'hui, il faut aussi un produit durable et éthique. C'est pourquoi nos articles sont réparables à vie. Et pour toucher une clientèle plus jeune, nous avons lancé il y a 18 mois la première collection de LAFRANÇAISE avec des modèles plus amples, plus colorés, vendus 100% en ligne. Notre objectif n'est pas de produire de très gros volumes, mais de préserver.
Article réalisé par Florence Hubin dans Le Parisien Économie du Mardi 26 Novembre 2024.